ETAPE 4 : NANCY



Henri Louis Go
Institut Freinet

Place Stanislas

Je devais retrouver Henri Louis Go, maître de conférence à la fac de Lettres de Nancy mais aussi chercheur et écrivain.


Philosophe de formation Henri Louis est membre de L'Institut Freinet. Il est un des spécialistes de la pédagogie "des Freinets" comme il aime le préciser. Il a publié des ouvrages que vous pouvez trouver dans toute bonne librairie pédagogique. Il se déplace souvent à l'école Freinet originelle de Vence dans les Alpes Maritimes pour observer et rendre compte de l'évolution des pratiques.
Il a été un des premiers à me répondre et il m'a mis en contact avec de nombreux enseignants.
Lors de notre entretien les informations étaient tellement denses que je me devais de lui consacrer un article entier.


Parmi tous les courants pédagogiques c'est celui qui m'est le plus familier.
Tout d'abord, Célestin et Élise Freinet sont français. Ils ont vécu dans le Sud-Est de la France et se sont réfugiés à Vallouise dans les Hautes Alpes sous l'Occupation. Cette région je la connais bien puisque je suis né à Gap et j'ai étudié à Nice et à Marseille.
Freinet est un méridional dans l'accent et par le tempérament. Même s'il est l'un des plus éminents pédagogues du 20e siècle et sans doute notre plus reconnu internationalement, il n'est encore étudié que sporadiquement dans le cursus des futurs enseignants.
Ce qui me rapproche encore davantage de ce pédagogue c'est certainement son double engagement comme philosophe et activiste.
Philosophe parce qu'à la lecture de ses nombreux écrits sa démarche pédagogique apparaît comme indissociable de son idéal humaniste qu'il souhaite diffuser dans la société.
Activiste car, malgré les épreuves innombrables qu'il a dû affronter, il n'a jamais plié et ses actes ont toujours été à la hauteur de ses idées.
Blessé lors de l'offensive du Chemin des Dames en 1917, il s'engage à faire en sorte d'éduquer les enfants pour qu'une telle guerre ne se reproduise jamais. Internationaliste des premières heures il quitte le parti communiste par dissidence idéologique après la seconde guerre mondiale pendant laquelle il s'engagea dans la résistance. Sa femme et lui décide dès 1934 de fonder leur propre école, conçue et construite pour leur pédagogie. Même s'ils sont restés d'humbles instituteurs provençaux, dans leurs ouvrages, lors de leurs conférences, de leurs voyages, ils ont semé les graines de l'émancipation de la jeunesse pour des générations.




L'école de Vence est générique dans la mesure où la pédagogie Freinet a pu être en grande partie conservée. Rachetée par l'Etat en 1991, elle bénéficie depuis d'un statut particulier.
Le fonctionnement de cette école laboratoire ne peut être transposée dans son ensemble. Il faut du temps et il faut trouver des solutions locales au cas par cas.
Henri Louis parle de la "machine" Freinet comme d'une pédagogie en mouvement mais avec des invariants qu'il faut respecter.
Quelle est l'essence de cette pédagogie ? Quels principes a-t-il voulu nous léguer en particulier ?
La mésologie en est le concept premier, me répond Henri. Elle est la science qui étudie la relation des êtres vivants avec leurs environnement. La pédagogie Freinet c'est sortir de l'école !
Il faut imaginer Célestin arrivant dans ce village perdu de l'arrière pays niçois. Il ne dispose pas d'assez de chaises dans sa classe pour ses 49 élèves. Certains élèves ne viennent même pas à l'école et préfèrent pêcher dans la rivière ou construire des barrages ... Le projet pédagogique devient alors une de ses premières préoccupation...

Extrait de "l'école buissonière"

Il instaure les promenades, de fréquentes sorties scolaires dans la nature, visites de monuments ou chez des artisans qui feront l'objet d'enquêtes publiées dans un journal. L'imprimerie, voici un outil de développement de l'expression écrite et de "l'Observation Réfléchie de la Langue" que l'on utilise dans les salles de classe sans forcément savoir que c'est une idée à lui, tout comme la correspondance par courrier ou la coopérative scolaire qui à l'origine était gérée démocratiquement par les élèves eux-mêmes.






Se confronter au milieu, rentrer en médiation avec la nature.
Pour Freinet l'éducation des jeunes ne peut pas se faire dans le béton, c'est une absurdité. L'enfant a besoin de rencontrer la vie pour s'émanciper et ce retour au source est nécessaire si l'on veut changer les mentalités.



Dans les écoles où j'ai enseigné c'est souvent difficile de faire de la corde à sauté à côté d'une partie de foot tant les élèves sont condensés dans ce carré délimité par des murs. Il n'y a que quelques arbres plantés dans le bitume sous lesquels on peut rechercher de l'ombre l'été ou s'abriter quand il pleut. Comment voulez-vous que l'enfant se "recrée" dans ce genre de cour d'école ?
S'interroger sur notre place dans la nature, sur notre façon d'habiter les lieux, en être conscient, c'est aussi initier l'intention de préserver cet environnement.

La dernière chose qui me relie à la pédagogie Freinet c'est mon ancien instituteur Gilbert Lager.
Lui aussi a aménagé son école pour en faire un havre de paix et un temple de la créativité. Il s'est inspiré de nombreux pédagogues mais ne s'en est jamais réclamé. Il aurait pu être formateur pour les jeunes enseignants mais il a toujours voulu rester en classe auprès de ses élèves.
Gilou, comme on l'appelle, a eu une importance fondamentale dans mon enfance. Le développement de l'autonomie, l'esprit d'initiative, la place de la parole de l'enfant, l'esprit critique, la richesse des activités qu'il proposait, ses inventions m'ont tout autant inspiré que les ouvrages des pédagogues de renom. Il est une sorte de mentor, mais ça j'aurai l'occasion de vous en reparler...

Une bonne partie des gens avec qui je discute conserve le souvenir d'au moins un bon enseignant dans sa scolarité. Quelqu'un qui les a marqué, qui les a respecté, encouragé et en qui ils avaient confiance.
L'école publique regorge d'expériences formidables, de professeurs visionnaires ou du moins qui prennent plaisir dans leur travail. Leur existence n'est malheureusement que rarement reléguée par les médias.
Alors revient sans cesse cette question : pourquoi ces pédagogies actives, scientifiques, dont les résultats sont appréciés tant au niveau du développement de l'enfant que de l'épanouissement du professeur sont-elles si peu répandues ?
Pour Henri-Louis l'administration centraliste, rigide et hiérarchisée à outrance peut être un des facteurs de cette stagnation.
En France on ne fait pas assez preuve de confiance envers les initiatives des professeurs. Cela créer un sentiment de méfiance réciproque qui ne produit rien de nouveau. Les enseignants se recroquevillent comme des huîtres quand on leur parle de rédiger des bilans de leurs projets, d'évaluer leurs pratiques et d'en rendre compte. Même les enseignants les plus chevronnés sont parfois découragés par les procédures bureaucratiques que nécessite l'innovation pédagogique. Comme dit Philippe Meirieu : comment pourrait-on susciter la moindre dynamique de changement si les enseignants sont suspectés de désobéissance dès qu'ils tentent de sortir des sentiers battus ?
D'un autre côté la méfiance des enseignants envers la hiérarchie est souvent dû à des aprioris.
L'année de l'inspection c'est souvent celle où on est "obligé" de bosser dur. Mais cela s'apparente plus souvent à un dépoussiérage des étagères et une mise à jour des classeurs qu'à un vrai questionnement sur sa pratique. La prise de risque n'est, soi disant, pas récompensée. J'observe surtout que c'est une excuse imparable pour justifier l'immobilisme. Personnellement j'ai toujours était sincère face aux inspecteurs et j'ai toujours eu de bons retours. Je n'ai rencontré qu'un seul bourreau en huit ans, un type avare de compliments. J'ai le sentiment qu'ils savent quand même de quoi ils parlent et savent reconnaître le travail que représente la mise en place d'une pédagogie active.
Henri-Louis me rappelle que tous les enseignants n'ont pas forcément pour vocation de devenir des chercheurs et ceux qui cherchent sont souvent noyés dans l'indifférence.
Y a-t-il des compromis envisageables pour encourager l’essor d'expérimentations qui permettraient de tirer tout le système scolaire vers le haut ?
De nos jours on assiste plutôt à un nivellement vers le bas qui plaide l'égalité des chances ...
Quel paradoxe : réduisons les chances pour tout le monde comme ça ils seront misérablement égaux. Ce séjour en Belgique m'a fait réfléchir sur ce processus égalitaire ... et j'ai des doutes qui subsistent dans ma tête.
Que se passerait-il en France si l'on donnait plus d'autonomie aux établissements, plus de pouvoir décisionnel aux directeurs afin de recruter des enseignants motivés et engagés dans un vrai projet d'école ?


Cette idée qu'il propose m'interpelle car nous ne pouvons pas transposer un système différent à tout le monde en même temps. Il a fallu 10 ans aux finlandais avec leurs 6 millions d'habitants. Il faudra créer un système progressif adapté à l'inertie d'un pays de 67 millions d'habitants.


Ces écoles "expérimentales" ne pourraient-elles pas être implantées dans les zones d'éducation prioritaire ?
Quelles conséquences aurait la prolifération des écoles à pédagogies actives dans les milieux défavorisés ?


J'ai beaucoup apprécié cet entretien avec Henri. Les idées fusent, les concepts rebondissent.
J'ai eu la chance d'assister à l'un de ses cours devant des élèves de troisième année.
J'ai pris des notes !

Malheureusement j'ai retrouvé cette ambiance amorphe des bancs de la fac. Sauf qu'il y a quinze ans tout le monde ne prenait pas ses notes sur son laptop. Très peu de mains levées alors que les questions posées aurait dû les interpeler. Je leur ai demandé : "Qui parmi vous veut être enseignants ?" Ils ont tous levé la main ! Comment peut-on avoir si peu de curiosité et d'avis sur le métier qu'on veut exercer ?

A la fin de l'interview, j'ai demandé à Henri de me réexpliquer le concept de laïcité.
Sincèrement, vous ne vous êtes jamais posé la question :
Mais en fait c'est quoi, exactement, la laïcité ?
"Pourquoi les français n'aiment-ils pas les religions ?"
Voilà une question à laquelle j'ai dû parfois répondre à la sortie de l'école.
La liberté de conscience madame ... la liberté de croire ou pas ...


Encore un immense merci à Henri Louis Go.
Nous restons en contact. Je ne veux pas me passer des conseils de quelqu'un d'aussi avisé.


Nancy, Metz, Strasbourg, ce voyage est aussi pour moi l'occasion de voir la famille.
Merci pour votre hospitalité, les rires, les sorties touristiques et les repas où l'on prend le temps de discuter, à la française !

Château du Spesbourg


 Margot, Thierry, Séverine et Zéphir !

Cathédrale de Strasbourg

JC et Phèdre

Je voulais aussi remercier le bar O' Chien Rouge à Nancy.
Ils ont retrouvé mon sac avec tout mon matériel de tournage que j'avais oublié sous une table.
Sans eux l'aventure s'arrêtait là. Ça me servira de leçon ...


Prochaine étape L'école Démocratique Kapriole à Freiburg en Allemagne.
L'article est en préparation.
A bientôt et merci pour votre intérêt !