ETAPE 2 : CALAIS
Ecole du chemin des dunes
Réfugiés de la jungle
Je
sais qu'un film c'est du boulot. Je n'en suis pas à mon premier.
Cependant
je ne me doutais pas à quel point la réalisation de ce documentaire
me demanderait autant de travail. Je passe un temps fou à planifier
les interviews, correspondre par mails, textos et coups de fil,
rencontrer les gens afin de comprendre qui ils sont, composer les
questionnaires en fonction de leurs propres actions pédagogiques,
sélectionner les parties les plus intéressantes parmi plusieurs
heures de rushes, résumer leurs propos et écrire ces quelques
lignes, publier les articles sur le blog, et rebelote …
J'ai à
peine le temps de visiter les écoles et les centres villes. Ce ne
sont définitivement pas des vacances de touristes. Certes je
rencontre des personnes formidables et nos conversations sont
chargées d'émotion, mais ils sont tellement absorbés par leurs
propres existences que je ne peux simplement pas me lier davantage à
eux, moi qui suis si grégaire. La manière dont ils m'accueillent, la confiance qu'ils
m'accordent est exceptionnelle et je tiens à leur faire part
de mon immense gratitude.
La vie de nomade est une vie d'orphelin. On s'attache naturellement peu à celui qu'on sait sur le départ. J'ai du mal à m'habituer à une telle solitude.
La vie de nomade est une vie d'orphelin. On s'attache naturellement peu à celui qu'on sait sur le départ. J'ai du mal à m'habituer à une telle solitude.
Toutefois,
observons le côté plein du verre. La vie de solitaire aiguise le
regard. Elle est source d'aventure et de vivacité. Cette
réappropriation de son existence est une délivrance !
Je comprends davantage certains de mes amis qui refusent à jamais
d'être enchainés à l'ennui de la routine, à la vanité de la
réussite, à l'inanité du sacrifice.
On dépeint souvent le Nord comme une région terne ou inanimée. On ne parle à la télé que chômage, immigration et montée de l'extrême droite, mais c'est avant tout une magnifique région qui vaut la peine d'être visitée. Je me suis garé à Escalles, sur le parking d'une plage de la côte d'Opale. Si j'avais su j'aurais trouvé une place pour ma planche, la houle était praticable et la plage me faisait penser à l'Algarve.
Ma
cuisine et surtout mon bureau installés je pouvais préparer mon
premier entretien avec Nathalie Janssens.
Nous nous sommes rencontrés
au « Channel », ancienne friche industrielle reconvertie
en lieu culturel incontournable de la ville. J'ai pris connaissance
des activités de Nathalie en faveur des enfants réfugiés en
tombant sur cet article :
Nathalie
est donc à l'origine de la création de l'École Laïque du Chemin
des Dunes dans la jungle de Calais. Après avoir passé plus de vingt
ans dans l'éducation nationale elle a fini par démissionner pour se
consacrer à la formation et à une forme d'éducation plus
« humanitaire » dirons-nous.
« J'ai fait le tour » m'a-t-elle confié. Elle a bien tenté d'initier des projets pédagogiques mais rien n'aboutissait. Elle a été directrice d'école maternelle mais elle y a toujours trouvé une forme de maltraitance : « On ne tire pas sur les petites fleurs pour les faire pousser... » Elle aussi considère les évaluations et les programmes actuels comme un obstacle au développement naturel de l'enfant. « Il y a une espèce d'oppression quand on ne leur laisse pas le temps de s'émanciper et une sorte d'agression dans la sélection qui leur est infligée ». Elle même se considère encore « en cours d'acquisition » comme on l'écrit si souvent dans les livrets scolaires. Elle comprend le « chagrin » que peut procurer l'école notamment dans le fait qu'il est parfois difficile de réconcilier les parents avec une institution qui les a eux-mêmes abimés. L'évolution du système est trop lente et Nathalie avait besoin d'efficacité. Elle même ayant vécu une enfance « compliquée » voici ce qu'elle répond quand je lui demande si l'éducation dans les milieux défavorisés doit être une priorité :
« J'ai fait le tour » m'a-t-elle confié. Elle a bien tenté d'initier des projets pédagogiques mais rien n'aboutissait. Elle a été directrice d'école maternelle mais elle y a toujours trouvé une forme de maltraitance : « On ne tire pas sur les petites fleurs pour les faire pousser... » Elle aussi considère les évaluations et les programmes actuels comme un obstacle au développement naturel de l'enfant. « Il y a une espèce d'oppression quand on ne leur laisse pas le temps de s'émanciper et une sorte d'agression dans la sélection qui leur est infligée ». Elle même se considère encore « en cours d'acquisition » comme on l'écrit si souvent dans les livrets scolaires. Elle comprend le « chagrin » que peut procurer l'école notamment dans le fait qu'il est parfois difficile de réconcilier les parents avec une institution qui les a eux-mêmes abimés. L'évolution du système est trop lente et Nathalie avait besoin d'efficacité. Elle même ayant vécu une enfance « compliquée » voici ce qu'elle répond quand je lui demande si l'éducation dans les milieux défavorisés doit être une priorité :
Je
partage son constat sur la responsabilité de l'école dans la résolution des problèmes éducatifs actuels. Je me suis
alors posé la question si une personne aussi impliquée
que Nathalie avait rencontré des difficultés quant à son
approbation par le « corps » enseignant :
Je ne
suis donc pas le seul à me sentir isolé et à vivre de sales
moments. Lors des conseils d'école, devant les délégués des parents d'élèves, on hésite à parler de manière trop enthousiaste des projets que l'on mène dans sa classe. Dans la salle des maîtres on évite de lancer des débats sur la pédagogie ou de réagir quand on entend des aberrations du genre : "il faudrait séparer les filles et les garçons en sport parce qu'elles gâchent le beau jeu" ; "tant mieux si personne ne participe à ce projet ça en fera plus pour moi" ; "ça, je le faisais avant mais tu verras plus tard tu seras lassé" ...
Certains veulent faire avancer les choses d'autres se plaignent sans changer leurs méthodes de travail. La majorité s'enferme dans son "bathyscaphe" et s'abstient de toute prise de position, mais pour moi, la neutralité c'est déjà choisir son camp.
Comme disait Bourdieu : « L'école ne dit pas ce qu'elle fait et ne fait pas ce qu'elle dit. » A méditer …
Certains veulent faire avancer les choses d'autres se plaignent sans changer leurs méthodes de travail. La majorité s'enferme dans son "bathyscaphe" et s'abstient de toute prise de position, mais pour moi, la neutralité c'est déjà choisir son camp.
Comme disait Bourdieu : « L'école ne dit pas ce qu'elle fait et ne fait pas ce qu'elle dit. » A méditer …
Avant
de quitter la France je suis passé par Lens et le « bassin
houillé ». Je suis monté en haut d'un terril pour contempler
les infrastructures minières désaffectées.
Il y a un siècle on y faisait encore travailler les enfants 12
heures par jour … Maintenant
ce n'est plus qu'un souvenir et je me demande si les élèves qui y
font leur sortie scolaire saisissent vraiment quel enfer c'était avant que le travail des enfants ne soit interdit et
quelle chance ils ont d'aller à l'école obligatoire.
J'ai
aussi rendu visite à des amis « chtimis » de mes
parents : la famille Rémi, torréfacteurs de père en fils.
J'ai été accueilli si chaleureusement que je ne sais pas encore
comment les en remercier. Une douche chaude, un lit et une connexion
wifi m'auraient suffi mais ils ont tenu à me faire découvrir
Valenciennes et ses brasseries. Un repas bien arrosé chez l'ami
Laurent et c'est reparti !