ETAPE 8 : MONTJOYER



Pédagogie Freinet



Sur la route qui me menait de la côte d'Azur à la Catalogne, je suis passé voir un enseignant, dans le petit village de Montjoyer, situé dans la Drôme provençale.
C'est encore une fois Henri Louis Go qui m'avait conseillé d'interviewer ce jeune prof, comme un autre témoignage prouvant que l'on pouvait appliquer la pédagogie Freinet dans une école publique. J'ai donc passé une journée entière dans la classe de Thibaut, un maître hors du commun qui s'est révélé être un chercheur passionné dans son domaine. L'expérience fut inoubliable et le dépaysement total. Comme quoi, il n'y a pas besoin d'aller jusqu'au bout du monde pour trouver des expériences scolaires extraordinaires...


Dans les trois barres HLM près de chez moi vivent environ 20 000 personnes. On dénombre 268 habitants à Montjoyer, pas suffisamment pour ouvrir une école comportant un enseignant par classe. Alors on rassemble plusieurs villages pour remplir une école, on dédouble les niveaux, on les regroupe par cycles, voire même on fait des classes "uniques" comportant des élèves de tous les âges.
C'est ce que j'ai vécu enfant. Je prenais le bus tous les soirs pour aller chercher mon petit frère dont l'école se situait à quelques kilomètres dans le village voisin. Le chauffeur nous déposait au bord du lac. Qu'il y ait quarante centimètres de neige en hiver ne nous empêchait pas de gravir le reste de la côte à pied, dans l'obscurité de la nuit précoce.
On retrouve aussi des conditions difficiles dans les "déserts ruraux". On constate souvent qu'il y a des enfants en situation d'isolement qui n'ont pas accès aux infrastructures et aux animations culturelles. L'enseignant doit alors s'adapter à un public très hétérogène tant en ce qui concerne la différence d'âge qu'en terme de condition sociale. Dans ce registre je vous conseille un film sortie en 2002, que vous connaissez sans doute mais qui reste exceptionnel, je veux parler de "Être et Avoir " réalisé par Nicolas Philibert.


Thibaut s'est aussi familiarisé à un autre environnement, celui de la jungle guyanaise, puisqu'il y a enseigné avec sa femme pendant des années. Encore un autre territoire reculé de la République, et parfois abandonné, avec ses particularités, ses obstacles mais aussi ses opportunités ... Thibaut m'a confié que ce premier défi éducatif a beaucoup influencé sa manière actuelle de travailler. Quand on commence par des conditions extrêmes on est forcé de s'aguerrir rapidement.
De retour en France il reste peu de temps en région urbaine et se fait muter dans sa campagne originelle où il s'occupe d'une classe de maternelle, accueillant des enfants de 3 à 6 ans.
L'école tient place dans les locaux de la Mairie, comme il était si répandu d'associer ces deux institutions républicaines à l'époque de Jules Ferry.



Ce qui fixe notre attention quand on rentre dans la classe de Thibaut c'est la place centrale que tient un magnifique matériel d'imprimerie du début du 20e siècle. Au cours de sa carrière il a rencontré un professeur à la retraite qui avait conservé dans son grenier deux presses originales de l'âge d'or de la pédagogie Freinet. Thibaut n'hésita pas une seconde devant cette marque de philanthropie pour rapatrier cet outil formidable dans son école.


Comme chez tous les enseignants qui pratiquent les pédagogies actives, on repère rapidement les indices d'une organisation qui invite l'élève à se responsabiliser comme le fonctionnement en ateliers libres où on lui laisse le choix d'occuper son temps comme bon lui semble.


Ces pédagogies constructivistes où l'enfant érige lui même la structure et les composantes de ses apprentissages pousse de même l'enseignant à être actif, créatif. Il conçoit son propre matériel, recherche, adapte, transforme, recycle des objets trouvés à droite à gauche, comme cet ensemble de jeu de construction, fait maison.



Dans la petit classe de Thibaut on voit en grand. Il faut de la place afin d'aborder par la manipulation la géométrie dans l'espace, la comparaison de distances, l'étude des formes et leurs compatibilités, la notion d'équilibre ...




Thibaut porte beaucoup d'importance aux compétences langagières de ses élèves à l'oral comme à l'écrit. La forme prototypique de l'expression écrite étant le dessin, il propose toujours un atelier de peinture libre en début de matinée afin que ses élèves développent intuitivement la motricité fine de leur pouce préhenseur et la vivacité de leur imagination.


Les enfants peuvent réaliser ce qu'il veulent. On les incite aussi à observer les productions des autres, en discuter, s'en inspirer ...


L'écrit est omniprésent dans la classe de Thibaut.
J'identifie, accrochés un peu partout, les fameux "textes libres" si chers à Freinet.


Tous les jours les élèves sont invités à raconter un passage de leur vie ou d'une histoire qu'ils ont inventée. Dans un premier temps ils font un dessin, une illustration.


Ensuite l'enseignant propose aux enfants de lui dicter ce qu'ils veulent dire.


Les élèves peuvent commencer par repasser sur le texte écrit par l'adulte puis ils sont invités à le recopier en dessous.


Enfin en autonomie, de manière empirique ils se lancent, ils tâtonnent ...



Ils commencent par écrire des sons, puis des mots, des phrases qui assemblées forment un texte, une histoire. Si cette expression émerge du vécu de l'élève, il sera d'autant plus motivé à apprendre à écrire, car il en aura fondamentalement besoin pour produire son propre récit, de plus en plus élaboré.
Les textes libres sont aussi utilisés comme référence lexicale et orthographique. Les enfants peuvent librement ou sous les conseils du maître aller chercher comment s'écrit un mot. L'élève comprend par analogie que l'écriture des mots est précise et permanente. Un mot est un concept énonciateur que l'on peut déplacer, utiliser, transformer, combiner ...



Thibaut a une élève de niveau CP dans sa classe. Il lui a confectionné un "P'tit dico", recueillant des mots et expressions qu'elle sera amenée à employer. Vous pouvez trouver cette ouvrage auprès de Jacky Varenne et de sa petite maison d'éditions: http://www.odilon.fr/



Elle construit ainsi sa conscience orthographique. Ses erreurs seront la base d'un apprentissage plus systémique des classes et règles grammaticales.


Comme dans beaucoup de classes maternelles, Thibaut utilise un cahier de réussite afin de mettre en avant les compétences acquises et non celles qui ne sont pas encore maîtrisées. Cette vision positive de l'appréciation des progrès de l'élève contraste avec certains bulletins qui évaluent l'enfant par rapport à une norme, dressant une liste exhaustive de compétences hiérarchisées et qui lorsqu'elles ne sont pas acquises sont marquées d'un point rouge, considérées sous la forme du manque, assimilées à des retards cognitifs. Certains se félicitent de l'impartialité d'un tel outil, j'en décèle surtout l'utilité sélective et la stigmatisation implicite de ceux qui ne rentrent pas dans le moule ... Une convention qui me semble plus utile à considérer quand on est enseignant c'est qu'il existe différentes formes d'intelligence et que chaque élève est en droit d'être considéré comme un être singulier aux affinités et aux besoins particuliers. Quand la société aura compris cela les enfants pourront vivre sereinement leur enfance sans qu'on leur fasse subir une pression injustifiée et traumatisante qui ressemble curieusement à celle que l'on retrouve dans le management et qui provoque nombreuses dépressions et burn-out même chez les plus compétents ...
Le cahier de réussite est aussi un moyen de rechercher une meilleure visibilité des apprentissages par les parents qui peuvent apprécier le travail de leurs enfants et celui de l'enseignant. L'éducation ne doit pas être exclusivement la responsabilité de la famille ou uniquement celle de l'école. Il s'agit d'une dynamique coopérative nécessitant un dialogue entre ces deux composantes dont dépend l'épanouissement de l'enfant.





Au fil de la journée et de nos discussions, je me suis rendu compte que nous avions beaucoup de préoccupations communes Thibaut et moi. Une d'entre elles est la nécessité quotidienne de sortir des murs de l'école pour que nos élèves enrichissent leur connaissance du monde extérieur et qu'ils développent leur confiance en eux.



A la sortie du village Thibaut a construit sur un terrain communal non exploité un parcours de motricité épatant. Tous les jours et avec l'aide incontournable de son ATSEM, il accompagne les élèves dans la découverte de leurs capacités physiques et proprioceptives. Corde à nœuds, équilibre, coopération pour transporter une botte de foin, jeu d'adresse, course en sac, autant d'activités qui relient le corps à la nature.
Ce qui doit être mis en avant, me semble-t-il, c'est le pragmatisme d'un enseignant qui a su dépasser le manque d'espace et de matériel dans son école. Une fois de plus l'inventivité l'emporte sur les apparentes contraintes insurmontables du milieu. Chercher autour de soi des solutions, envisager des possibilités dans les structures environnantes, développer ses compétences en bricolage, voilà des prérequis qui seraient à mettre davantage en avant lors de la formation des jeunes enseignants.












L'après midi, pendant que les "petits" font la sieste, il est temps d'exploiter les productions écrites du matin. Après avoir choisi un texte en considérant la diversité des notions linguistiques qu'il contient, Thibaut réussit habilement à développer la conscience phonologique associée à la lecture et à l'écriture.


On découpe les mots en syllabes, on les identifie, on fait des analogies avec les mots qu'on connait déjà.


Quand on observe l'efficacité d'une telle démarche on comprend à quel point le débat confrontant la "méthode syllabique" à la "méthode globale" est obsolète. Ou plutôt c'est un leurre, un épouvantail. Opposer ces deux méthodes relève du sophisme car cela n'a comme effet que de détourner la réflexion vers une conception manichéenne et vulgaire du langage alors que la réalité et bien plus subtile et délicate. Le simple fait de parler de "méthode" est aussi une erreur à mon sens. L'expérience de l'apprentissage de la lecture est par définition une "démarche expérimentale". Elle fait appel à des processus mentaux très diverses et des notions complémentaires. L'orthographe c'est la "sciences des ânes" affirment certains... Selon moi ce serait manquer de respect à l'ingéniosité et la diversité de l'intelligence humaine. Il serait plus bénéfique de l'aborder comme la découverte d'une "phylogenèse linguistique". En analysant de près ma langue natale lors de mes études de professorat j'ai compris que la manière dont on écrit suis une logique, respecte un généalogie, certes complexe, mais si l'on s'en donne la peine on découvre que chaque signe à un sens. 
Enfant j'étais considéré comme un très bon élève. Le seul point noir sur mon bulletin c'était la dictée. Les leçons successives et les règles rabâchées d'une année sur l'autre ne m'ont été d'aucun secours. J'étais persuadé que j'étais nul et que je n'y comprendrais jamais rien. Je pensais que tout ceci relevait du hasard, de la chance. "C'est pourtant simple, il faut l'apprendre par cœur !" L'échec est alors la marque indélébile de la fainéantise ou de la faiblesse.
En lisant le livre confessionnel de Daniel Pennac "Chagrin d'école" j'ai trouvé un réconfort et enfin une réponse à mes angoisses : on peut écrire des histoires passionnantes tout en ayant des difficultés orthographiques. Mon maître Gilou insistait bien sur le fait qu'il ne s'agissait que "d'erreurs" d'orthographe, pas de "fautes". J'ai souvent été pénalisé par mon niveau en orthographe lors de mes dissertations. Cela a paralysé l'élève que j'étais quand j'en venais à douter sur l'écriture d'un mot. Il est pourtant sain pour un apprenant de se questionner sur la raison des choses. Beaucoup d'élèves ayant des troubles dyslexiques se révèlent être des individus très raisonnables. Moi cela m'a classifié comme un "matheux" et a orienté mes études vers les sciences alors que je sentais au fond de moi que j'avais la fibre littéraire. Selon moi l'orthographe est un indice catégoriel trop important. Je ne dis pas que "écrire droit" n'est pas important, je dis simplement que pour la grande majorité des enfants on ne l'aborde pas de la bonne manière et qu'on les dégoûte d'une composante précieuse de leur identité qui, s'ils ne prennent pas eux-mêmes l'initiative plus tard de reprendre le stylo, est perdue à jamais. Il ne faut pas avoir peur de la complexité de notre langue car c'est ce qui fait sa richesse. C'est ce que j'essaye de faire comprendre à mes élèves. L'orthographe est un outil qui a pour but en soit l'expression de son être intérieur. Si l'on envisage le langage écrit comme une énigme à résoudre, qui plus est en collectif, alors la frustration laisse place à l'engouement et la déroute se change en émerveillement.


Ensuite les élèves s'exercent à l'écriture, Thibaut leur dicte des sons à coder. C'est l'occasion de partager des procédures graphiques.


Le nombre restreint d'élèves permet aussi de procéder à une différenciation pédagogique.
Pendant que certains écrivent le texte à l'aide du matériel d'imprimerie, Thibaut s'occupe individuellement des enfants ayant besoin d'étayage.


Une fois de plus on pourrait faire l'inventaire des compétences travaillées transversalement aux apprentissages fondamentaux. Ici il suffit d'observer avec quelle méticulosité les élèves saisissent les petites lettres de métal, les placent dans le support, tourne la petite vis de serrage, utilise la presse, pour comprendre qu'ils développent de manière intense et appliquée des capacités motrices précises et variées.









Grâce au procédé de l'imprimerie l'élève comprend que son message, il peut le transcrire, l'imprimer, le reproduire en grand nombre et ainsi le transmettre à grande échelle. 
Le travail de l'élève est doublement valorisé puisse qu'il réalise son propre projet de manière autonome et responsable et qu'il est en mesure de le partager sous forme de journal avec sa famille et plus largement les autres habitants du village.




On retrouve aussi un plan de travail pour l'élève de CP, comme à l'école Freinet de Vence.


Thibaut termine la journée en complétant le cahier journal de la classe.
On récapitule la chronologie des événements de la journée et on en choisit le plus significatif afin de l'inscrire dans le tableau résumé de la semaine.


Le temps de classe terminé, les aisselles auréolées, nous sommes allés dans un pub rugbalistique du chef lieu voisin pour discuter pédagogie et didactique.
En effet, quand je suis arrivé la veille chez Thibaut et sa famille j'ai été chaleureusement accueilli avec un repas chaud qui allait à merveille avec la bouteille de Côte du Rhône que j'avais apporté. Nous avons discuté jusqu'à tard dans la nuit et il m'a présenté sa bibliothèque d'ouvrages pédagogiques.
Thibaut est un vrai spécialiste de la pédagogie Freinet et des recherches didactiques contemporaines. Il est d'ailleurs en train de rédiger une thèse universitaire. Il a en effet un projet de recherche de grande ampleur : adapter la pédagogie Freinet aux découvertes en Sciences de l'Éducation les plus probantes et les plus abouties.
Cependant avant d'aborder le raisonnement derrière sa démarche je lui ai posé une question "d'école". Il fallait définir les nuances sémantiques qu'il y a entre la "pédagogie" et la "didactique"?
Sa définition, je m'y attendais, fut limpide :
"La pédagogie a une définition plus large, la didactique a attrait aux savoirs, à les rendre transmissibles. La pédagogie c'est tout ce qu'il y a autour, les conditions ce qui vont permettre de rendre accessible ce savoir à l'apprenant. C'est plus lié à l'affect. La didactique c'est l’épistémologie, l'histoire du savoir pur. J'essaye de le comprendre et une fois que je le conçois de manière scientifique, je suis plus à même d'enseigner ce savoir".
La posture de l'enseignant est alors de respecter l'élan vital de l'enfant tout en intégrant le savoir faire des sciences de l'éducation dont il est intéressant de se réclamer. Toute personne ne peut se proclamer éducateur. Le fait d'avoir cette formation, cette expertise c'est ce qui définit le statut d'enseignant. C'est elle qui lui permet de s'assurer du pragmatisme de son action.


La pédagogie Freinet semble être effectivement au cœur des enjeux actuels. Alors pourquoi l'Institution ne s'en inspire pas davantage ? Pour cela, comme le dit Thibaut, il faudrait redéfinir quels sont les enjeux éducatifs dans notre pays. Il parle d'une "vision de société". C'est une des raisons pour lesquelles il travaille dans l'école publique.


"S'entraider pour que chacun puisse réussir."
Cette pensée chez un enfant, chez tous les enfants, apparaît comme une évidence, si l'on met en place un système qui va la révéler. Nous, enseignants, sommes les spectateurs privilégiés, et parfois les tuteurs, de la manifestation infantile de la "nature humaine". Ils nous rappellent chaque jour l'altruisme et l'empathie qui la définissent. Il y a certes des affrontements, des injustices. Je n'ai jamais dit que la nature humaine n'était pas elle-même conflictuelle. Cela me rappelle d'ailleurs cette jeune anglaise rencontrée à Paris et qui faisait justement allusion au roman "Sa majesté des mouches", relatant l'aventure d'enfants naufragés, pour illustrer la nécessité d'un accompagnement de certains élèves dans leur discernement du bien et du mal. Quelques uns, faisant appel à la Raison et leur instinct de survie ressentent la nécessité de s'organiser en société égalitaire, les autres dominés par la haine et la peur de l'inconnu sont peu à peu submergés par leurs pulsions sauvages et laissent place à la loi du plus fort, entrainant les autres dans un déchainement de violence fratricide qui aboutit à l'anéantissement de l'île entière dans un gigantesque incendie... Ce qui se passe entre les élèves dans une école est la découverte de leur conditions d'enfants et d'êtres humains. On remarque alors, dès qu'on les aide à mettre en place une organisation, qu'on réfléchit avec eux sur les choix qu'ils prennent afin de créer leur propre société, leur propre justice, qu'ils choisissent toujours la plus paisible et la plus clémente. Quand les enfants s'unissent pour apprendre concrètement à vivre ensemble, ils finissent par considérer les conflits comme des problèmes auxquels il faut trouver des solutions. Ainsi construisent-ils consciemment les règles de vie commune. C'est le fait qu'on les leur impose avec des explications hâtives et abstraites ou qu'on ignore leur capacité de discernement qui semble être voué à l'échec.
Alors pourquoi au fil du temps avons-nous tendance à oublier ces principes qui nous rendaient l'enfance plus heureuse et le sentiment d'être maîtres de nos existences ? Qu'est-ce qui tue l'enfant en nous ? Est-ce la société ? En quoi l'école a son rôle à jouer dans les relations sociales ?


L'école est un microcosme démocratique, il est temps que les enseignants l'affirment dans leurs paroles et dans leur actes. Nous avons la légitimité institutionnelle et l'expertise scientifique de notre côté. C'est écrit dans notre constitution, dans les droits de l'homme, les textes de loi, l'importante bibliographie spécialisée et même les programmes scolaires !
Mais comment progresser vers une reconnaissance sociale ? Comment convaincre, les parents notamment, que l'école doit permettre d'expérimenter la démocratie et de développer son esprit critique ?


Les parents comme les enseignants se méfient de l'alternative souvent assimilée à une forme de laxisme et de dogmatisme. La critique la plus fréquente est qu'on ne peut laisser à l'élève seul la responsabilité de structurer ses apprentissages. Après avoir visité l'école démocratique de Freiburg je m'interroge moi-même : quelle est ma place sur la frise des courants pédagogiques ? Je ne peux qu'admettre que je ne suis convaincu de rien mais intéressé par beaucoup de choses. 
Alors comment développer l'analyse de sa propre intervention de manière pragmatique ? 
Une fois de plus je retrouve dans les propos de Thibaut une introspection partagée.


Cette échange m'affecte davantage que je me retrouve devant une expérience professionnelle similaire à la mienne. Cela renforce certaines de mes conceptions, m'ouvre des perspectives mais je me devais de lui faire part de ma déception quand au dynamisme du milieu éducatif et de ma difficulté à trouver ma place afin d'exprimer sereinement ma position pédagogique. Comment s'en sort-il lui, une fois avoir ouvert la boîte Pandore ?


Sortir de la condition Don Quichottesque de l'affrontement illusoire, utiliser son énergie pour créer dans sa classe et à l'échelle locale, ne pas se soucier du regard des autres, rechercher les brèches, mettre en avant ses réussites et non ses défaites...
J'écoute avec grand intérêt les conseils de mon alter-égo, d'autant que lui aussi a effectué un voyage similaire il y a quelques années, au moment où il doutait le plus sur la possible compatibilité entre son éthique et son environnement de travail.


Thibaut vient d'exprimer ce que je pourrais définir comme une certaine "foi" laïque.
L'espérance, seule valeur que Pandore arrive à conserver dans sa boîte, est sans doute la source principale qui abreuve notre persévérance. Il se sent concerné, impliqué dans ce qu'il fait parce qu'il est convaincu que cela peut produire quelque chose de positif.
Je souhaiterais vraiment atteindre cet optimisme qui l'anime.
Je dois aller jusqu'au bout de mon voyage, jusqu'au fond des choses.
Actuellement je suis au Mexique. Je suis passé par Barcelone, Helsinki, Montréal et l'on m'attend à Lima et Sao Paulo. Partout où je suis passé j'ai rencontré des enseignants investis et tout aussi soucieux de l'avenir de leur métier.
Je souhaite bon courage à Thibaut. Comme à tous les autres je lui fais part de ma reconnaissance pour l'intérêt qu'il a porté à mon projet. Je constate qu'il se manifeste naturellement une vraie cohérence et une fraternité chez les enseignants des différents endroits que je visite.
L'accueil que m'a réservé Pere en Catalogne a été aussi un moment exceptionnel.
Dans le prochain article je vous raconterai en détail sa perception du métier d'enseignant et ce qu'il m'a raconté sur l'expérience de Francesco Ferrer y Guardia, premier pédagogue moderne, exécuté en 1909 sur la place publique pour ses idées progressistes et dont l'éducation républicaine catalane se réclame encore.
L'analyse qu'il m'a apporté du conflit démocratique actuel dans sa région met en lueur l'agitation sociale qui anime en ce moment les places, les avenues et les universités de mon propre pays. Je l'observe à distance, via les chaines d'informations. Un désastre médiatique, un gouffre sémantique, un sophisme argumentatif et cet individualisme étouffant. Ça bouillonne là dedans. J'ai besoin de lâcher du lest, d'argüer dans la langue de Molière. J'espère que cela va vous plaire ...