ETAPE 6 : LYON



Ecole Montessori
Chevreul Lestonnac



Montessori, c'est le nom qui vient communément à l'esprit de la majorité des gens quand on parle d'éducation "alternative". Cette pédagogie connaît un succès international qui ne cesse de croître. Nombreuses sont les personnalités qui ont suivi un tel cursus. De plus en plus d'écoles privées adoptent cette "méthode" et rencontrent un franc succès. 
Mais que sait-on réellement de la pédagogie de Maria Montessori ?
Une grande partie des parents qui s'en remettent à ces écoles ne conçoivent que superficiellement ses principes et ses mécanismes.
Ils se soucient principalement de deux choses : si leur enfant réussira sa scolarité et s'il sera heureux d'apprendre.
Les parents veulent naturellement le meilleur pour leur descendance : excellence et créativité, esprit logique et fibre artistique ...
Mais est-ce vraiment une méthode réservée à l'élite ?
Peut-on se former à cette pédagogie quand on enseigne dans le public ?


On voit aussi le commerce du matériel estampillé "Montessori" faire son essor. Cette appellation est une marque de qualité. Elle s'impose comme une référence grandissante dans l'inconscient collectif.
Il ne faut cependant pas confondre l’œuvre pédagogique et son utilisation comme objet marketing. On sait avec quel engouement l'aspect mercantile s’immisce partout où il y a un marché à prendre.
En fait, si l'on observe bien, on remarque que ce sont principalement les jouets qui sont commercialisés. De plus on y trouve tout et n'importe quoi, tant que c'est en bois. Les vrais objets pédagogiques sont encore rares et onéreux. Je me demande néanmoins si avec quelques outils je ne pourrais pas en construire pour ma classe ...
Maria Montessori n'a pas trouvé la nécessité de déposer un brevet sur son matériel. Tout le monde peut le fabriquer et donc le vendre. Peut-être voulait-elle simplement faire un présent à l'humanité ?



Je dois vous avouer que je m'étais intéressé que très vaguement à ce courant pédagogique. Pour quelle raison ? J'avais peut-être envie d'appréhender les choses par moi-même. Et j'avais sans doute d'autres préoccupations qui m'ont empêché d'envisager une démarche d'investigation aussi poussée dès le début de ma carrière. Il faut vraiment une certaine expérience sur le terrain et il est nécessaire de s'imposer une discipline de travail exigeante pour commencer à sortir des sentiers battus. Toute cette partie de notre auto-formation se fait sur notre temps personnel, sur la base du volontariat. Celle qu'on nous propose chaque année sous forme de conférences est très rudimentaire. Les formateurs commencent à peine à parler de ce type de pédagogies "actives" et ce n'est pas dans les écoles supérieures de professorat que l'on nous incite à s'informer sur ces démarches différentes.
Après quelques recherches j'ai ainsi découvert que je pratiquais des activités "montessoriennes" sans m'en rendre compte quand j'enseignais en maternelle et que j'avais utilisé et construit quelques outils similaires à l'école élémentaire notamment en mathématiques.
L'utilisation de ce matériel n'est pas exclusif aux écoles privées. Certains enseignants du secteur public s'y intéressent aussi, par le biais de formations payantes ou de manière autodidacte.
Tant d'engouement éveille ma curiosité. Ces ouvrages qui remplissent dorénavant les rayons des librairies dédiés à l'éducation recèlent forcément des trésors.


En 1896 Maria Montessori est l'une des premières femmes diplômées de médecine en Italie. Elle étudie le comportement de jeunes ayant des difficultés cognitives. C'est là qu'elle découvre que ces enfants n'avaient aucun jeu à leur disposition, alors qu'ils avaient besoin plus que jamais d'actions pour les extraire de leur condition et besoin de manipuler pour développer leur intelligence. Tout comme Ovide Decroly, elle comprit que les outils pédagogiques qu'elle avait développés pourraient être bénéfiques à l'ensemble des enfants.
Au tout début du vingtième siècle elle décida de se consacrer à l'enseignement et à la recherche. Ses publications et ses découvertes ont fait avancer d'un bon de géant la façon de considérer l'épanouissement de l'enfant et la manière dont il structure ses apprentissages.


L'école n'est plus le sanctuaire de l'ordre et de la discipline. L'organisation reste primordiale et les apprentissages des enfants au centre des attentions mais c'est la bienveillance et la liberté de décision qui sont mis en avant.
Maria Montessori préconise le respect des rythmes de développement de chaque enfant en ne lui imposant pas un programme mais en lui proposant un matériel adapté, efficace, progressif et entrainant.
"Observer mais pas juger" c'est selon elle la condition indispensable pour créer une ambiance rassurante et respectueuse. La parole de l'enfant, ses opinions, ses choix comptent. Si on affine son regard sur les procédures des élèves et qu'on leur donne l'occasion de s'exprimer, ils sont capables de formuler ce dont ils ont besoin et d'orchestrer la manière dont ils emploient leur temps.
L'importance de l'apprentissage par le corps contraste avec ces rangées d'élèves assis et immobiles pendant des heures.
Le fascisme italien s'intéressa pourtant à cette pédagogie novatrice mais quand Mussolini voulut imposer l'uniforme aux enfants, Maria Montessori préféra fuir l'Italie plutôt que d'être instrumentalisée.
Elle travailla néanmoins jusqu'à ses derniers instants pour améliorer la perception que la société se faisait de l'enfance.


Je me devais de visiter une école Montessori pour voir cette effervescence de mes propres yeux et comprendre ce qu'est réellement le travail de l'enseignant dans ce type de classe.
J'ai donc suivi les recommandations d'Henri Louis Go en contactant un couple d'enseignants basé à Lyon qui fait office de référence en la matière : Anne et Étienne Kolly.


Longtemps enseignants dans le système public, ils se sont tout d'abord intéressés à la pédagogie Freinet. Puis par le biais de l'éducation de leurs enfants ils ont étudié la méthode de Maria Montessori qui semble à ce jour être la démarche qui leur correspond le mieux.
Leur expérience leur a permis de franchir le pas. Recherchant plus de liberté et d'enthousiasme pour les expérimentations pédagogiques ils ont décidé de partir dans le privé. Au collège-lycée catholique Chevreul Lestonnac on leur a donné carte blanche pour construire les trois cycles de l'école primaire, Anne s'occupant de la classe des CP-CE1-CE2, Étienne occupant le poste de directeur et travaillant dans la classe des CE2-CM1-CM2. Cette dernière comporte 40 élèves et deux enseignants qui travaillent conjointement dans un ensemble de salles dont ils ont fait abattre la cloison. 
J'ai commencé ma visite dans la classe de Anne. Après avoir fait une courte présentation de l'étranger que j'étais, elle a prononcé quelques mots qui m'ont marqué : elle a souhaité une bonne journée aux enfants ! Cela peut paraître anodin mais c'est incroyable. Cela signifie que les élèves vont faire leur vie pendant la journée sans forcément avoir un contrôle constant de l'adulte. Ils sont autonomes. On leur fait confiance. Ils ne travaillent pas simultanément sous les consignes de l'enseignant. Dès qu'ils arrivent dans la classe les élèves rentrent immédiatement en activité mais ils vont chercher tantôt un jeu, un plateau, un livre, une feuille. Certains continuent un exercice ou un projet en cours, d'autres notent dans leur cahier de réussites les exercices accomplis la veille. La maîtresse gère au compte gouttes les élèves qui lui demandent de lui expliquer l'utilisation d'un nouveau matériel, d'accompagner la manipulation, ou d'y apporter une difficulté supplémentaire. L'agencement de la classe, l'observation, les postures, les gestes sont différents : la maîtresse est parfois assise par terre auprès d'un élève installé sur un tapis quand le plateau d'activité est trop grand pour tenir sur une table, ou debout face à un groupe d'élève pour les aider à s'organiser. Je note que les élèves ne sont pas passifs quand ils attendent que la maîtresse finisse de s'occuper de leur camarade. Ils regardent, ils écoutent et dès qu'un plus grand ou plus expérimenté peut prendre la place de l'enseignant, il le fait spontanément. Les élèves sont très responsabilisés et la coopération est omniprésente. Par exemple ce sont eux qui s'expliquent mutuellement comment utiliser la photocopieuse !
Il se passe tellement de choses, ça turbine tellement. Je passe d'atelier en atelier en questionnant à voix basse les élèves. Je suis extrêmement intéressé par tout ce matériel d'une inventivité extraordinaire et par le volume d'activité de cette classe.
Pour ceux qui se posaient la question voilà une des raisons pour lesquelles je ne peux pas vraiment filmer les enfants en activité lors de ce voyage : le champ de vision dans l’œilleton de la caméra est trop restreint pour que je puisse en si peu de temps être témoin de toute cette agitation. Je ne veux pas passer à côté d'un maximum d'informations en cherchant de beaux "cadres". Pour l'instant j'étudie. J'aurai tout le temps l'année prochaine pour imaginer une manière immersive de filmer mes élèves.


Rentrer en pédagogie Montessori ce n'est donc pas suivre une méthode. Il s'agit d'envisager le métier d'enseignant différemment. C'est une démarche continuelle qui impose d'affiner son observation et de savoir se remettre en question. Il faut aussi développer des capacités de gestion de classe notamment une certaine virtuosité à diagnostiquer et étayer chaque élève dans un dynamisme permanent.
Je me rends compte à quel point mes trois ans à enseigner en maternelle m'ont aidé à comprendre qu'on peut agencer sa classe sous la forme d'ateliers dans tous les niveaux scolaires.
Ces trois dernières années en CE1 j'ai organisé l'espace de manière modulable, j'ai acheté et conçu un matériel original, j'ai appris à laisser de côté les manuels scolaires et surtout j'ai pris le risque de faire confiance à mes élèves. Quand le directeur rentre dans ma classe il ne sait pas si l'on joue ou si l'on travaille, même si les élèves chuchotent il trouve ça un peu bruyant, mais surtout il met un certain temps à me trouver dans la classe car je suis souvent assis parmi les élèves et non debout au tableau à l'endroit où on s'attend à voir un maître "faire son cours". Quand je me pose une minute, j'observe ma classe et je me dis qu'elle est vivante.





Cette pédagogie demande une attitude différente face aux élèves. Ce sont eux qui font la classe, pas nous. L'enseignant s'organise pour se rendre disponible aux enfants et faire en sorte que chaque moment qu'il leur consacre soit utile. Il enrichit et cultive son langage pour être le plus intelligible possible. Il n'impose pas, il propose. Il n'exige pas, il offre.
J'ai alors confié à Anne et Étienne que c'était la première fois que je rentrais dans une école Montessori et à quelle point cela m'avait subjugué.


Quand Anne dit que l'enfant "refait le chemin de l'humanité" cela résonne avec la conception que je me fais de la didactique.
"La didactique, c'est l'étude des questions posées par l'enseignement et l'acquisition des connaissances dans les différentes disciplines scolaires. Elle se différencie de la pédagogie par le rôle central des contenus disciplinaires et par sa dimension épistémologique (la nature des connaissances à enseigner)."
Il s'agit donc d'organiser l'enseignement de manière progressive afin qu'un élève puisse dans sa scolarité passer d'un savoir de base à la conception des notions les plus complexes.
Une grande partie des sciences se sont construites de manière empirique. On peut donc élaborer des situations de références, des activités, du matériel qui peuvent permettre à l'apprenant de saisir dans le contexte et au bon moment la compétence qui lui permettra d'acquérir la suivante. Le matériel développé par Maria Montessori et les scientifiques qui l'épaulaient est tout simplement un bijou d'inventivité et de cohérence.
Je suis alors très curieux de savoir quelles sont ses autres grandes découvertes.


Je comprends que le terme "normalisation" soit teinté de préjugés. Mais dans ce cas là ce n'est pas de former les jeunes selon une "norme" dont il est question mais de créer un environnement où chaque enfant pourra se développer de manière "normale". C'est parfois lui offrir un lieu où il ne ressente pas la pression du milieu social ou familial. C'est aussi lui permettre d'oublier cette tension permanente du monde extérieur qui le pousse à s'échapper symptomatiquement de la situation d'apprentissage. C'est de même octroyer un statut à l'erreur qui ne décourage pas la tentative de réussir. La concentration dépend de l'intérêt que l'on porte à une activité et l'intérêt d'un enfant passe très souvent par le jeu. Maria Montessori a conçu son matériel selon des critères didactiques mais aussi ludiques.
Ce terme de "normalisation" comporte une notion particulière lorsqu'on enseigne en zone sensible. Certains de mes élèves, ces "banlieusards", on leur reproche souvent de ne pas s'intéresser à l'école, à la culture française. Je ne pense pas cela. Les enfants des quartiers m'ont toujours paru très curieux et très dynamiques, "trop" dans certains cas. La condition première pour élaborer une pédagogie active auprès d'eux c'est de canaliser leur énergie débordante dans des activités enrichissantes. Depuis un certain temps je me suis constitué une ludothèque. Les élèves peuvent utiliser des jeux quand ils ont fini leur travail et le mercredi matin nous en sortons de nouveaux et nous en fabriquons même ensemble. Ces supports ludiques sont essentiels pour moi et j'ai déniché de vrais petites perles pédagogiques. Les apprentissages issus de cette pratique régulière permettent à ces enfants turbulents de manipuler soigneusement le matériel, de coopérer avec des partenaires et de respecter un adversaire, de relativiser la victoire et la défaite et surtout de comprendre des règles, car sans règles du jeu, il n'y a pas de jeu. Au bout de quelques semaines, l’appétence qu'ils avaient à jouer s'est transmise aux activités plus "scolaires", car elles aussi sont envisagées comme un amusement. L'ambiance de la classe est beaucoup plus sereine car les enfants ont appris à gérer des conflits et préfèrent prendre plaisir à se considérer comme des coéquipiers qu'à se disputer constamment. L'école est le lieu de "normalisation" par excellence, si par "normalisation" on entend socialisation, émancipation et acculturation.
On a alors la preuve devant les yeux que les enfants sont tous capables d'acquérir le socle commun des connaissances ainsi que des compétences civiques et d'y prendre plaisir.


Les pédagogies actives offrent un éventail d'activités comportant de multiples transversalités. Il est maintenant difficile de contester le fait que la contextualisation et la manipulation sont des conditions évidentes pour une prégnance des apprentissages scolaires. L'enseignement doit progressivement passer de l'opération concrète à l'esprit d'abstraction. Même les nouveaux programmes préconisent ce genre de pratiques interdisciplinaires. Alors pourquoi on ne nous apprend pas à utiliser ce type de matériel ? Pourquoi un étudiant en sciences de l'éducation passe-t-il le plus clair de son temps à analyser des manuels scolaires et des copies d'élèves plutôt que d'étudier comment rentrer dans une démarche constructiviste ?

Pour étayer mes propos je dois vous présenter une partie du matériel mathématique développé par Maria Montessori pour que vous ayez un aperçu de l'importance du travail de cette dame qui pour moi est un peu la Marie Curie de l'éducation...

Pour comprendre le principe de numération décimal elle utilisa des regroupements de perles ou de cubes.




Le système de numération décimal est un principe de groupement par 10. Anthropologiquement parlant on comprend vite en observant nos dix doigts pourquoi l'être humain a choisi une telle référence.
Dès qu'on a 10 perles/cubes on peut faire une barre de 10 ou dizaine.
Dès qu'on a 10 barres on peut faire une plaque de 100 ou centaine.
Dès qu'on a 10 plaques on peut faire un bloc de 1000 ou millier.


Les enfants commencent d'abord à lire les nombres en perles ou en cubes.
En parallèle est introduit l'écriture chiffrée.





L'utilisation du boulier est aussi très répandue dans la pédagogie Montessori.
Il permet de varier la manière d'écrire les nombres et d'illustrer la notion de valeur de position d'un chiffre. Accompagné par les différentes couleurs l'enfant comprend ainsi que s'il y a 4 boules sur la ligne des unités le chiffre 4 signifie qu'il y a 4 unités alors que s'il y a 3 boules sur la lignes des dizaines alors le chiffre 3 code le nombre 30 (soit 3 dizaines), le chiffre 7 sur la troisième ligne code 700 (soit 7 centaines), le chiffre 2 sur la quatrième ligne code 2000 (soit 2 milliers).
Dans l'écriture chiffrée des nombres on organise les chiffres non pas en lignes superposées mais en colonnes juxtaposées : le premier chiffre en partant de la droite code les unités puis le second code les dizaines et ainsi de suite ...


L'enfant peut donc associer au codage des nombres un geste et c'est bien là un des arguments principaux de Maria Montessori. Le toucher, au même titre que les autres sens est un moyen par lequel le cerveau humain créer du lien, des interconnexions et par ce fait structure, mémorise et conceptualise d'autant mieux ses apprentissages.


Le boulier permet aussi d'associer à un geste simple le principe d'ajouter ou d'enlever en faisant glisser sur l'axe les boules d'un côté ou de l'autre de la structure.
L'addition et la soustraction sont donc tout de suite assimilées à des actions concrètes, des opérations.


L'organisation des opérations posées en colonnes apparaît aussi comme une représentation évidente dès lors qu'on a construit le principe de groupements décimaux.
Pour l'addition il suffit d'ajouter les unités de groupement entre elles en abaissant les éléments des différentes colonnes sur la ligne du bas pour obtenir le résultat visuellement. On ajoute les unités avec les unités, les dizaines avec les dizaines, les centaines avec les centaines, etc.
C'est tellement plus parlant que lorsqu'un professeur vous invective qu'on n'ajoute pas des choux avec des carottes !


On peut passer assez facilement à l'opération écrite en accompagnant la manipulation avec un tableau sur papier.


Sans avoir consulté d'ouvrages pédagogiques particuliers, ni acheté tout ce matériel j'ai eu cette réflexion didactique très tôt dans ma carrière. J'ai été initié à cette démarche lors de mon passage à l'école Decroly de Saint Mandé. Cela m'a ouvert de nombreuses portes. Les déclinaisons de l'utilisation des groupements de cubes sont multiples notamment quand on l'applique aux "grandeurs et mesures".
En effet on peut disposer 10 barres dans un mètre, on développe la notion qu'un "décimètre" c'est un mètre découpé en dix.
On peut de même placer 100 cubes dans un mètre, on introduit le fait qu'un "centimètre" c'est un mètre fractionné en cent.
L'enfant construit lui même son mètre mesureur.


Et quelle surprise cela a été de découvrir qu'un cube pèse un gramme et que les barres qui ne sont pas creuses, pèsent donc 10 grammes ...


Le principe de "retenue" également, devient une construction concrète : si, par exemple, suite à l'addition dans la colonne des unités, on a plus de dix cubes alors on peut fabriquer une barre supplémentaire et la poser en haut de la colonne des dizaines.
Croyez moi, j'ai utilisé ce système avec mes élèves, ça met le temps qu'il faut avec ceux qui sont en difficulté mais ça marche à tous les coups et cette conception est ancrée à jamais comme une base solide aux apprentissages futurs.

Ici un exemple tiré de ma pratique personnelle : 318 + 324


 8 unités + 4 unités = 12 unités


On peut donc fabriquer une "barre" supplémentaire et la placer en haut de la colonne des dizaines. 
Il reste 2 unités dans la colonne correspondante.


1 dizaine + 2 dizaine + 1 dizaine "retenue" = 4 dizaines


3 centaines + 3 centaines = 6 centaines


Le résultat de l'addition est donc 318 + 324 = 642
On peut facilement la transcrire en écriture chiffrée dans un tableau :


Chaque semaine je publie un article sur un blog pour les familles dans lequel j'explicite la plupart des activités. Chaque année je fais de nouvelles trouvailles dans toutes les disciplines et j'affirme ainsi, sans réserve, définir ma démarche comme celle d'un chercheur. Mais il faut être honnête, on ne peut pas prétendre tout inventer tout seul. Je m'inspire énormément des pratiques d'autres enseignants, surtout en m'intéressant aux pratiques des pédagogies constructivistes.
Voici un objet que j'ai découvert en observant les classes de cette école Montessori : le matériel dit "des éprouvettes" qui introduit de manière extrêmement pertinente le principe de division.
Quand j'ai vu les enfants utiliser cet outil j'en ai presque eu la larme à l’œil : à combien d'élèves aurait-on pu épargner d'être menés à l’échafaud quand on leur demanda de "dresser une potence" au tableau afin d'effectuer une division euclidienne ?
Je peux prendre les paris sur le nombre d'adultes qui serait incapable de le faire à nouveau et d'autant plus de l'expliquer.


L'activité de l'élève s'appuie essentiellement sur le fait que la division peut se représenter sous la forme d'une distribution équitable d'une quantité (dividende) selon un dénominateur (diviseur), c'est celui qui indique "par combien on partage".
L'enfant va donc déverser un certain nombre de billes dans un petit bol pour ensuite les répartir un maximum de fois par ligne selon un dénominateur choisi jusqu'à ce qu'il ne dispose plus assez de billes.
Le nombre de lignes occupées constitue le résultat (quotient) de la division et le nombre de billes restant, le "reste" comme son nom l'indique.
Les trois couleurs correspondent aux unités, dizaines, centaines. Ce qui permet à un élève d'effectuer très tôt dans sa scolarité des divisions particulièrement complexes.
Anne et Étienne m'excuseront de ne pas pousser la démonstration plus loin, même si je m'en sentirais capable, mais ce serait trop long et il est nécessaire de l'accompagner d'une manipulation.
Le damier que l'on voit en face est aussi extrêmement intéressant, mais là, j'aurais besoin d'une petite formation pour expliquer son utilisation correctement ...


Un petit dernier pour finir. Je vous laisse deviner de quel théorème il en est l'illustration ...


Réponse : le théorème de Pythagore. "Dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l'hypoténuse est égale à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés."

La pédagogie de Maria Montessori est donc indubitablement efficace, performante, les résultats sont là. Son expertise scientifique permet aux élèves d'acquérir les différents savoirs de manière optimale parce que les principes qu'elle a mis en place respectent la logique interne des disciplines et le développement naturel de chaque enfant.
Mais quelle notion essentielle différencie cette pédagogie des méthodes traditionnelles ?
En quoi est-elle plus "humaine" que celle qui fait autorité dans la plupart des systèmes scolaires ?


Voilà une nouvelle analyse qui me parle. Notre archétype éducatif français, cette posture frontale du maître et de contrôle excessif de l'administration est peut-être issu de notre héritage industriel ou encore notre obsession à la productivité.
L'institution est peut-être un peu trop méfiante pour amorcer une refonte de la formation pédagogique car elle a peur que les enseignants n'aient plus à évaluer leurs élèves de manière uniforme et cadencée et que certains en profitent pour faire n'importe quoi ou qu'ils ne soient pas en mesure d'avoir suffisamment de recul sur les effets de leur pratique. C'est ce qui a été principalement reproché à Céline Alvarez à la fin de son expérimentation. Pourtant les résultats étaient là. Une grande partie de ses élèves de maternelle savait lire avant même d'entrer en CP.
Beaucoup d'enseignants sont aussi effrayés par le fait d'adopter des dispositifs constructivistes parce que les résultats ne sont pas immédiats, que la crainte que certains élèves passent à travers les mailles du filet soit trop importante, qu'ils ne puissent finir le programme à temps et que tout ça leur soit reproché. C'est un peu la raison pour laquelle les principes de respect de l'autorité et d'apprentissages "fondamentaux" reviennent au galop depuis une vingtaine d'année. Pourtant le taux d'élèves en échec scolaire ne cesse d'augmenter et leur attitude à déplorer ... L'impatience des politiques à constater les progrès et la partialité des médias à foncer tête baissée dans les analyses restreintes des divers évaluations internationales nous font marcher à reculons. Voilà le paradoxe. Quand allons nous enfin analyser notre système éducatif selon une expertise pédagogique et non bureaucratique ou encore populacière ?
Dans toute forme d'apprentissage, voire dans toute démarche progressive il faut s'attendre à ce que l'avancée se fasse en dent de scie et surtout il faut garder à l'esprit qu'on doit souvent accepter de perdre du temps pour en gagner.

Après une bonne heure d'entretien, ce n'est pas sans regret que j'ai du libérer Anne car elle avait un rendez-vous important avec de jeunes enseignants dont elle a pris en charge la formation. J'ai alors proposé à Étienne de continuer car il me restait quelques conseils à lui demander. Il a fait exploser les compteurs en répondant avec entrain à trois autres questions.

Comment organiser sa classe pour inciter les élèves à prendre soin du matériel ?
En effet l'argument principal qui empêche la plupart des enseignants de changer leurs modes de travail est que les enfants ne seraient pas en mesure d'acquérir une si grande autonomie et un sens des responsabilités sans qu'on soit sans arrêt derrière leur dos pour leur rappeler les règles de fonctionnement de la classe.


Comment envisager la posture de l'adulte dans une pédagogie active ? En quoi demande-t-elle un changement des mentalités ?


Quelle place la reconnaissance occupe-t-elle dans la motivation d'un enseignant à garder la foi tout au long de sa carrière ?


Pour conclure je dirais que Maria Montessori mérite toute l'attention qu'on lui porte tant l'étendu de son travail est immense. Je pense sincèrement que sa pédagogie devrait être d'autant mieux considérée par l'organisme de l'éducation publique que nous avons plus que jamais besoin de ses apports didactiques et civiques notamment dans nos cités. Nous n'avons pas forcément la nécessité de pratiquer cette démarche dans son intégralité mais, humblement au moins, de s'en inspirer.
Je m'intéresserai de manière encore plus approfondie à son œuvre car je ne veux rater aucune de ses inventions extraordinaires. Je pense que je vais passer quelques semaines à bosser dans l'atelier de mon père pour fabriquer un bon nombre de son matériel. Mes observations me confortent d'autant plus dans ma démarche pédagogique constructiviste, bienveillante et fraternelle. Le constat est là, les élèves sont métamorphosés. Comme dirait mon instit Gilou, "si les enfants ont envie de venir à l'école alors c'est 50% du travail qui est fait" et j'ajouterai le souvenir de ma mère quand le midi "je mangeais avec un lance-pierre" tellement pressé de retourner à mon école pour me la réapproprier.

Voilà. Ce fut ma visite la plus courte mais mon article le plus long.
Comme vous l'avez sans doute remarqué je suis un peu en décalage par rapport à mon voyage.
Actuellement je suis en Finlande ! Je veux voir ce système éducatif de mes propres yeux.
Le prochain article concernera la "plus belle école que j'ai jamais vu", je veux parler de l'école originelle de Célestin Freinet à Vence, (et oui j'ai eu mon entrée !) avec une équipe formidable et charmante qui plus est. Puis viendront celui sur Thibaut, un enseignant hors pair qui exerce dans une petite école de village dans la Drôme, une invitée mystère qui se reconnaîtra et mon cher ami Pere Vila, un personnage exceptionnel qui a vécu sa carrière d'enseignant à Sabadell en Catalogne et qui m'a ouvert les yeux sur l'histoire de la pédagogie moderne, sur la culture de son pays et sur beaucoup d'autres choses ...
Je tiens à dire un grand merci pour l'altruisme avec lequel Anne et Étienne m'ont accueilli dans leur école et ont participé à l'interview avec professionnalisme, humour et spiritualité.
Je voulais aussi, même si je n'ai pas fais de "selfie", remercier mes très chers amis Ben et Jon pour ce séjour en Suisse, Seb et Roland qui m'ont hébergé pendant cette semaine dans les pentes de la Croix Rousse, ma tata Michèle, tonton Pascal, mes cousins Zoé et Rémi pour ce succulent repas en famille ainsi que mon grand cousin Fred, sa femme Karine, leur enfants Alix (junior) et Morgan qui m'ont reçu chez eux royalement. Je souhaite beaucoup de succès à la fantastique salle d'escalade HOLD UP qu'il a ouvert dernièrement rue du bourbonnais à Lyon. Je vous conseille vivement d'y aller, c'est excellent !



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